Par Florence Kraft-Babel

Or donc l’Alternative du conseil municipal genevois a déposé hier un projet de résolution  en vue de délester la Ville de l’une des rares compétences qui lui revenait encore : celle de délivrer son préavis pour un/e requérant/e au Droit de Cité en Ville de Genève, étranger/ère  de plus de 25 ans vivant chez nous depuis au moins 12 ans.

Cette démarche, plus que notre respect, mérite notre sympathie. En effet, partout dans le monde, la nationalité est affaire d’Etat point barre. Sauf dans un petit pays, qui, depuis plus de 700 ans se bat vallée, par vallée, pour ses libertés, autrefois avec ses bras, une arbalète, des armes, aujourd’hui avec sa  voix, à coup de référendums, de pétitions, d’initiatives, de votations populaires. Ceci dans le cadre d’une constitution confédérale, qui s’est construite de bas en haut, ce qui l’amène de nos jours encore, lors d’une demande de nationalité, à demander au candidat de choisir une commune d’origine. Fait unique au monde. Il est vrai que pour les non natifs, ce terme peut faire confusion avec son réel lieu de naissance, ses racines culturelles et familiales. Il vaut donc mieux en garder l’esprit qui est celui de l’attribution d’une citoyenneté privilégiée, d’une nouvelle famille, faisant  de l’acquisition du livret rouge et blanc plus qu’une simple formalité, un nouveau passeport de vie.  Et ceci, rappelons-le, au nom du  grand génie des constitutions révolutionnaires, Bonaparte : l’autonomie des communes, la liberté municipale !

Oui, je l’avoue, à chaque fois que le dossier d’un candidat unique, au parcours de vie unique, celui d’un futur concitoyen, d’un futur combattant devrait-on dire, arrive sur la table de la commission pour demander en quelque sorte d’adjoindre son nom à notre Histoire comme il va inscrire le nôtre dans la sienne, c’est avec l’émotion quasi d’une nouvelle naissance que nous le découvrons. Dossier secret, étudié discrètement ( lors d’un entretien, le plus souvent lors d’une visite à domicile), nous accomplissons avec lui une étape – en principe la première – d’un long parcours à triple  échelons (communal, cantonal, fédéral) qui le mènera au jour solennel où, devant un conseiller d’Etat, il proclamera  publiquement et librement sa fidélité à notre Constitution en levant la main droite JE LE JURE !. Le passeport adjuré. Voici ce qui fait la force de la petite Suisse.

Holà, disent certains, tout ceci est du passé, du folklore et du romantisme, vive  l’informatique, vive la modernité ! Et d’inventer un PRD 123 (!),  qui réduirait le processus de nationalité à un enchaînement de formalités administratives confiées à des téléphonistes, des chefs et des sous-chefs de services, comptables, juristes, informaticiens, statisticiens, des policiers mais plus de politiciens. Et d’en appeler à la Cour des Comptes, pour lui demander de calculer l’économie de temps, d’argent que l’on pourrait espérer dans le cas où l’on se passerait de l’avis des représentants du peuple. Voire déléguer la compétence à un seul exécutif. Pour le coût, maintenant on le sait, il n’y a pas d’économie en vue dans ce schéma, juste de l’administration en plus. Et d’un.

Mais, comme  son nom l’indique, la Cour des Comptes a donc fait une série de calculs sur l’ensemble de la procédure, qui ont abouti au résultat qui n’a surpris qu’eux, à savoir que: devenir suisse, ce n’est pas si simple et que cela prend du temps! Comme si, délivrer un passeport de  citoyenneté  communale,  cantonale et fédérale, pouvait se faire en un clic, et comme si tout ceci pouvait passer outre la rencontre et de l’avis des élus populaires, tous niveaux et tous partis confondus. Comme si tout cela était trop lourd, trop long, trop subjectif, trop suisse en somme ! (On entendait presque sonner le clairon de l’Internationale…)

On nous a donc – sans nous auditionner – mis devant le choix de décider nous-mêmes, puisque nous sommes in fine souverains, helvètes ma foi: soit de cultiver nos prérogatives, tout en nous expliquant lentement que cela nous obligerait à faire des votes à huis clos en plénière (là il nous manque un avis de droit, car la Ville de Lausanne pratique le préavis communal par une délégation du conseil sans en passer par la plénière), que sera serait long et pénible et qu’il faudrait pour notre petit confort peut-être mieux décider de lâcher le processus à une seule et unique personne, chef qui plus est, ce sera plus simple. Ladite personne, auditionnée sur le sujet, a dit qu’elle ne s’y opposait pas, mais que dans ce cas,  elle s’en remettra à l’avis du canton, parce que trop de dossiers et pas de temps à perdre avec tout ça, basta. Et quid de notre démocratie ? De notre fédéralisme? De notre humanité ?

Certains rêveraient-ils d’une grande internationale, techno- administro – informatico – helvétique ?

C’est en tous cas, ce vers quoi s’achemine la proposition de l’Alternative d’hier – mais qui ne date pas d’hier – visant à supprimer la commission des naturalisations pour remettre l’octroi du Droit de Cité à un seul et unique superman, seul habilité à le délivrer. Le fait du Prince. C’est cela alors la sacro sainte objectivité ? Eh bien non, cela s’appelle tout simplement de l’arbitraire ! Au nom d’un subjectif  municipal on se sacrifierait pour de l’arbitraire administratif ! Et nous, conseillers, élus pour surveiller le CA, comment accomplirons-nous notre tâche ? Pire que l’arbitraire politique, cela deviendra du totalitarisme. La machine administrative à l’appui. Assurément le remède est pire que le mal. La dérive grave.

Le Tribunal s’était d’ailleurs prononcé à ce sujet en 2003, en préservant aux communes un droit de recours en la matière. C’était à l’époque contre l’arbitraire politique. Mais, dites-moi, combien de dossiers, retenus par l’administration pour d’obscures raisons, dont ils n’auront jamais à nous rendre compte et sur lesquels la Cour n’aura aucun droit de regard – passeront ou ne passeront pas ? Combien ont déjà été retenus ?

A notre sens, le droit de recours se doit d’être jalousement préservé par la commune, précisément dans une commune en charge de trop nombreux dossiers. Remis à une commission des naturalisations, celle-ci devra être présidée par la présidence du conseil municipal – seule compétente et libre de contrôler les rouages administratifs en la matière, formée de commissaires certes subjectifs mais bienveillants, de toutes les couleurs, issus de tous les groupes politiques, acquis à notre souveraineté, chargés de rencontrer et de connaître leurs futurs pairs. Le droit de recours ne sera plus l’affaire des avocats, mais de la présidence du conseil municipal, qui déploiera son artillerie juridique à défendre un candidat si nécessaire.

C’est pour cela que, soucieux de ne pas s’engouffrer tête baissée dans une proposition dont on ne saisit pas la finalité politique, certains élus en et hors partis divers, ont déposé leur propre PRD sur cette importante  question et le défendront en urgence ce soir.

 « IL NE FAUT PAS S’EXPOSER A DETRUIRE L’ESPRIT MUNICIPAL » (Napolélon Bonaparte , séance du 8 mars 1806)

Du moment que l’échelon du préavis communal est reconnu comme préjudiciel (voir site de la Confédération), que l’avis du canton peut faire l’objet d’un recours, que par ailleurs, vu leur volume, les dossiers sont voués à être noyés dans l’anonymat et l’arbitraire de la pile d’un magistrat communal – quelles que soient au demeurant les qualités de ce magistrat – il devient évident qu’en Ville, une commission des naturalisations, voire « de naturalisation et de citoyenneté » à l’instar de celle « des naturalisations et des agrégations » de Neuchâtel doit être maintenue.  Demeure réservé le mode de fonctionnement et d’intervention que celle-ci  jugera utiles d’adopter – et tant  mieux pour la créativité – en plus du vote officiel à huis clos,  afin de remplir la double mission de contribuer à préparer les candidats à ne plus aller voter qu’une ou 2 fois tous les 5 ans comme autrefois, mais 5 fois par an (!) et de les rencontrer individuellement pour décider en conscience et en humanité de leur Droit de Cité. Un pour tous, tous pour un.

Oui, la Suisse a su jusque- là maintenir ce quelque chose de passionné, de passionnant dans l’acquisition de la nationalité, reflet de son histoire : une construction patiente, un gage de solennité, et l’atout cœur.  La Suisse est un pays lyrique, en témoignent nos paysages, les œuvres des peintres et des poètes. Le Cantique suisse n’est pas un hymne de bataille, c’est un chant pieux, une déclaration foi, d’amour à la Patrie. La Suisse est un pays où l’on aime et que l’on aime. Ou pas. Citoyens d’une Willensnation, il appartient à chacun de la vouloir, Ou pas.  L’alternative n’existe pas.

Et tout comme l’habit ne fait pas le moine, le passeport n’est pas un passe-droit, ni un faire-valoir ; il ressemble et ressemblera à celle ou celui qui le porte et il /elle lui incombe de lui donner vie, âme, corps, esprit, couleur, et légitimité. Et cela ne vaut pas que pour les étrangers !

(NB: Il est renoncé au langage épicène pour la fluidité de la lecture, l’esprit néanmoins y est.)

L’article fut initialement publié à cette adresse : http://fkraftbabel.blog.tdg.ch/archive/2017/06/07/allons-citoyens-de-grand-coeur-284511.html