Par Michèle Roullet

L’Académie française a raison de clamer son hostilité envers la langue dite épicène et l’écriture inclusive. Vouloir plier la langue pour défendre une cause politique (fût-elle la meilleure !) est une imposture. Certes, la langue n’est pas immuable. Elle subit des mutations : des mots deviennent désuets, changent de définitions et peuvent être évincés du dictionnaire pour faire place à d’autres mots qui s’immiscent dans nos habitudes langagières ou sont créés pour désigner de nouvelles réalités (scientifiques, techniques, artistiques…).

Mais, la langue a sa propre vie ! Elle « écume, jubile, bave, nous glisse entre les doigts » (pour paraphraser Francis Ponge, in Le Savon) et se joue des velléités militantes. Derrière le rideau de fer, on se souvient des blagues qui ont fleuri au nez et à la barbe des dictateurs qui voulait plier les esprits en s’en prenant à la langue. Par ailleurs, si on veut renforcer le sexisme, la meilleure manière de procéder est précisément de mettre sur pied une police de la langue, qui nous imposerait la “juste” et “correcte” manière de dire ! Car, la censure amène la révolte et éveille le sentiment d’être dépossédé de son identité.

Sur le théâtre du monde, de nouveaux despotes ou Trissotins veulent jouer leur rôle, au nom de la justice, de l’égalité entre les hommes et les femmes, ou encore « pour changer le monde » (comme me l’a confié une élue d’Ensemble à gauche du Municipal en Ville de Genève). Et, pour atteindre leurs ambitions, ils se mettent à triturer les mots, à les malmener, à les hacher sans la moindre considération pour notre langue. “Certain-e-s militant-e-s, politicien-ne-s, rédacteur-trice-s, ces fameux-euses sauveur-euse-s ou libérateur-trice-s des citoyen-enne-s… “ sont même parvenus à imposer l’écriture inclusive au sein d’administrations qui obligent leur personnel à « rédiger tout document comme étant d’emblée destiné à des femmes et à des hommes afin que chacun et chacune se sentent pareillement considéré-e-s ».

Mais, la langue se rebiffe ! Torturer la langue – au point de la rendre illisible – est lourd de conséquence. En effet, toucher à la langue, à ce qui est le plus intime, à la quintessence de l’être humain, pervertit le langage. Au lieu de nous permettre, au-delà de nos différences (de sexes, sensibilités, croyances, générations) d’échanger, la langue devient taciturne ou bruisse de “bibelots d’inanité sonore”. Enfin, imposer un vocabulaire d’une manière volontaire, arbitraire (quel féminin pour “auteur” : “auteure”, “autrice”, “autoresse” ou “auteuse” ?) et sélective (une magistrate à Genève exigeait qu’on la nommât : « Madame la maire » choisissant de féminiser l’article, mais pas le nom ! Cf. « Langue et usages ») provoque des frustrations et du ressentiment.

C’est pourquoi toutes les tentatives pour réformer la langue française se sont heurtées à des levées de boucliers et ont fini au fond d’un tiroir (à noter qu’à Genève, on s’acharne sur la question, puisqu’il y aurait un « Dictionnaire genevois qui précise toutes les règles de féminisation » in TdG du 18-19 novembre 2017. La question se pose toutefois de savoir si les administrés de Nyon sont autorisés à l’utiliser).

La langue, fût-t-elle fasciste – comme le prétendait Roland Barthes (in Leçon) – ne peut être délibérément redressée, car on entretient avec elle des relations compliquées où l’affectif et l’émotionnel ont leurs mots à dire. A moins de la tuer et de devenir mutique, la langue aura toujours le dernier mot, car elle n’appartient à personne et est pleine de mystères. Nourrie par des millions de locuteurs et enracinée dans une histoire aux traces parfois lointaines, elle échappe à tous, même au poète qui sait jouer avec les mots et les transporter dans des formes allégoriques ou métaphoriques.

Sauf à se considérer démiurge, la langue ne plie jamais. D’ailleurs, ambitionner de la plier pour servir une cause, ne nous ramène-t-il pas aux années sombres du stalinisme qui a voulu exercer un contrôle absolu sur le langage artistique en imposant le style du réalisme soviétique. Au final, c’est l’imagination et l’art qui ont été étouffés (avec le goulag pour les ennemis du peuple qui refusaient le langage propre des apparatchiks).

C’est pourquoi, avec une grande lucidité, l’Académie française a qualifié de « péril mortel » l’écriture inclusive (Cf. l’interview de Dominique Bona), car, en castrant ou en infibulant les mots, c’est la pensée qu’on mutile. Cette prise en otage de la langue propage aussi des débats stériles et l’ennui, mouroir de la communication. D’ailleurs où s’arrêter avec ces pseudo règles de l’écriture inclusive ? Pourquoi ces militants de la langue épicène ne “masculanisent-ils” pas les mots féminins comme “une personne“ en “un person” ! Non, décidément, la répression n’a jamais favorisé l’échange ! Et, comme le rappelle Hélène Carrère d’Encausse (secrétaire perpétuel de l’Académie française), « les progrès de la condition féminine ne passent pas par le massacre de la langue [au contraire puisque] mettre une catégorie de sexe à un titre est une façon de marginaliser les femmes, de les mettre de côté ». Le genre masculin ou féminin des mots de la langue française n’a ainsi rien à voir avec le sexe. Issu d’un contexte historique, de pérégrinations des mots et d’une grammaire qui n’est certes pas figée, le français, contrairement au latin, n’a toutefois pas de genre neutre. Les mots de la langue française sont, par conséquent, tous soit du genre féminin soit du genre masculin indépendamment de considérations de sexes. Ceci est tellement vrai qu’on peut constater que le lexique du monde militaire est rempli de mots féminins (Cf. Les Socialistes, les mots et l’armée). N’acceptons donc pas qu’on instrumentalise les femmes pour vendre une idéologie ! Et, que toutes les “garses” du monde francophone marchent main dans la main et disent “NON“ à la moralisation de la langue !

Michèle Roullet, conseillère municipale en Ville de Genève