Courrier des lecteurs, publié le 12 juin 2023 (Tribune de Genève)

  L’esplanade Alice-Bailly, juste devant la Comédie de Genève.

La décision annoncée la veille de la première de la pièce «Les Émigrants» crée une stupéfaction titanesque, loin au-delà des frontières genevoises.

La direction de la Comédie, qui avait engagé Krystian Lupa, metteur en scène polonais mondialement connu, disciple de Tadeusz Kantor, savait que ce metteur en scène, qualifié dans «Le Temps» de «génie de la scène», sortait des cadres habituels, et qu’en le faisant venir à Genève elle s’engageait à suivre les indications d’une mise en scène où acteurs et techniciens sont mis en danger. S’inspirant de la méthode de Stanislavski, Krystian Lupa construit la pièce sans filet en tissant son texte au jour le jour lors des répétitions.

Bref, l’annulation de cette pièce, qui devait renforcer le prestige de la «Nouvelle Comédie» et être un cadeau non seulement pour les Genevois, mais pour tous les amoureux du théâtre (puisque cette pièce devait partir en tournée à Avignon, à Paris, à Milan…), est un flop magistral qui crée de graves préjudices. Des préjudices financiers – on parle de 1 million de perte, qui sera à la charge des contribuables genevois –, mais plus encore un tort moral pour les comédiens qui ont travaillé pendant trois mois et dû certainement renoncer à d’autres contrats en vue des tournées prévues, dont celle prestigieuse à Avignon.

«On peut s’étonner que la Comédie n’ait pas réussi à mettre en place une médiation pour éviter ce cafouillage de dernière minute.»

De l’extérieur, il est difficile de comprendre ce qui s’est exactement passé. Mais on peut tout de même s’étonner que la Comédie, gérée par une fondation dont la présidente est avocate, n’ait pas réussi à mettre en place une médiation pour éviter ce cafouillage de dernière minute.

La direction de la Comédie et le magistrat en charge de la Culture en Ville de Genève, Sami Kanaan, évoquent des problèmes de maltraitance de l’équipe technique et parlent de dignité. Mais où sont la dignité et le respect lorsque l’équipe technique débordée demande l’annulation de ce spectacle sans consulter l’équipe artistique, qui, elle, refusait cette annulation qui leur crée un tel préjudice. Apparemment, les comédiens, eux, ont été enchantés de travailler avec Krystian Lupa, qui les sort de leur zone de confort pour qu’ils puissent donner des moments de grâce sur les planches qui auraient bouleversé les spectateurs.

Toute ma pensée va aux comédiens qui ont été empêchés d’exercer leur art avec cette décision si brutale. 

Michèle Roullet, conseillère municipale PLR